Extrait d'un article de Charles FONTAINE paru dans le numéro 68 (mai-juin 2010) de NEXUS

Une dette publique, des intérêts privés

De l'abandon de la création monétaire par l'État au privilège des banques, résulte l'escroquerie d'un endettement dont les intérêts permettent de verser une généreuse et perpétuelle rente à des banquiers qui ont pour seul mérite d'avoir inscrit un montant sur une ligne de compte.

Auparavant, l'État pouvait se financer auprès de la banque centrale grâce à des avances au Trésor sans intérêt et sans échéance, mais depuis près de 40 ans (1), il a abandonné ce droit régalien de création monétaire en le transférant sur le système bancaire privé. La plupart des gens pensent que ce sont les Banques centrales qui créent la monnaie, mais en réalité celles-ci ne sont en charge que de la création de la monnaie fiduciaire qui ne représente que 7 % de la monnaie en circulation. Alors, d'où viennent les 93% restant? Des banques commerciales qui ont hérité du droit de créer la monnaie par un simple jeu d'écriture dans une ligne de compte: c'est le crédit qui crée la monnaie.


Argent dette.

Autrement dit, lorsqu'une banque fait un crédit, elle prête de l'argent qu'elle n'a pas. Elle le crée ex nihilo (à partir de rien), contrairement à l'idée souvent répandue que c'est grâce aux montants des dépôts des épargnants que la banque peut accorder des crédits.

C'est la raison pour laquelle on parle "d'argent dette", car pour que l'argent existe, il faut en premier lieu l'emprunter.

Cette création de monnaie est "temporaire" dans la mesure ou le remboursement des crédits bancaires correspond simultanément à une destruction de monnaie. Ainsi, il y a augmentation de la masse monétaire globale lorsque les flux de remboursements sont inférieurs aux flux des crédits nouveaux accordés par les banques et inversement.

Toutefois, pour maîtriser (autant que faire se peut) l'évolution de la masse monétaire, les banques centrales fixent les taux directeurs qui correspondent aux intérêts applicables entre deux banques: plus le taux est élevé, plus le crédit devient cher. La demande de monnaie diminue alors et l'évolution de la masse monétaire ralentit.

Par ailleurs le pouvoir de création monétaire des banques n'est pas illimité. En effet, elles doivent disposer d'un certain montant de monnaie centrale (i.e. fiduciaire) pour assurer la conversion de la monnaie scripturale le cas échéant. Ce montant constitue la réserve obligatoire dont le taux est fixé par la Banque centrale (2).


Endettement perpétuel.

Pour financer ses dépenses publiques, l'État a recours à l'emprunt: il émet des bons du Trésor ou des effets  — selon la durée de l'emprunt —  qu'il vend sur le marché. Et les banques commerciales financent leur achat de ces titres de dettes publiques par simple création monétaire...

Autrement dit, les banques s'enrichissent gracieusement tandis que l'État (c'est à dire les contribuables) s'endette. Cette logique d'endettement crée un cercle infernal, car tôt ou tard il faudra rembourser l'emprunt et les intérêts. Or lors de la création de monnaie donnant lieu au crédit, seul le principal a été créé. L'argent pour payer les intérêts n'a quant à lui jamais été créé.

Parmi les nombreux économistes qui s'élèvent contre cet état de fait, le prix Nobel d'économie Maurice Allais dénonce radicalement ce système: "La création monétaire doit relever de l'État et de l'État seul. Toute création monétaire autre que la monnaie de base par la Banque centrale doit être rendue impossible, de manière que disparaissent les "faux droits" résultant actuellement de la création de monnaie bancaire" (3).

Le montant de la dette française s'élève à plus de 1 400 milliards d'euros et le seul remboursement annuel des intérêts de cette dette absorbe la totalité de l'impôt sur le revenu.

Ce montant est sensiblement égal à la somme des intérêts (actualisés) payés sur cette dette depuis 1973 (4), date à laquelle l'État a renoncé à la création monétaire. Autrement dit, si l'État avait pu se financer directement à la Banque de France sans intérêts, mais avec l'obligation de rembourser l'emprunt et de détruire ainsi la monnaie créée, le pays ne serait aujourd'hui quasiment pas endetté.


(1) En France, c'est la loi du 3 janvier 1973 sur la réforme des statuts de la Banque de France qui, sous la tutelle du ministre des finances Valéry Giscard D'Estaing, a auto interdit à l'État d'emprunter auprès de la Banque de France. L'article 123 du récent traité de Lisbonne  — ratifié suite à un déni de démocratie —  stipule: "il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres (...), d'accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l'Union, aux administrations centrales (...); l'acquisition directe, auprès d'eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite".

(2) Dans la zone euro, le taux de réserves obligatoires est fixé à 2% (au 2 février 2010). Cela signifie qu'avec un dépôt de 2 euros (en monnaie fiduciaire), une banque peut en prêter 100.

(3) La Crise mondiale d'aujourd'hui. Pour de profondes réformes des institutions financières et monétaires, Maurice Allais, éd. Clément Juglar, 1999, p.95.

(4) Source: La dette publique, une affaire rentable. À qui profite le système? André-Jacques Holbecq et Philippe Derudder, éd. Yves Michel, 2008, p.71-72.



Le Frexit en bref